23 avril 2013

Luc Déry | Portrait d’un producteur



Derrière l'ombre des projecteurs, il met tout en place pour la fabrication d'un chef d'oeuvre. On pense souvent que les producteurs ne font que donner de l'argent aux réalisateurs, tout en les contraignant à en dépenser le moins possible, mais il n'en est rien. Voici la carrière d'un producteur très aimé dans l'industrie (sauf par M. Guzzo).


            L’amour du cinéma chez M. Déry se manifeste dès le Cégep à Gatineau où il tourne des Super 8 avec son ami André Turpin avec qui il retravaillera plus tard. Il fréquente aussi souvent les ciné-clubs. Ayant terminé son DEC en sciences pures, le jeune homme déménage à Sherbrooke pour y faire un BAC en biologie. Pendant ce temps, il continue à tourner des films en Super8 et en notament présente un au festival du film Super 8 de Sherbrooke en 1985, rêvant, un jour, d’accéder à des compétitions internationales.

            C’est au cours d’un autre Bac que Luc Déry reçoit la piqure du cinéma lorsqu’il voit L'étatdes choses (1982) de Wim Wenders au cinéma d’Outremont où il avait déménagé pour étudier à Polytechnique. Juste après, il laisse l’ingénierie pour se consacrer aux Études cinématographiques, toujours à l’Université de Montréal. C’est pendant ce temps qu’il rencontre sa future collaboratrice, Kim McCraw, lors du tournage d’un court métrage étudiant. Le producteur raconte : « Ça a tellement cliqué entre nous qu'après le tournage, on est allés jouer au pool ensemble et qu'on est devenus instantanément amis »[1]. Après cette rencontre, les deux amis se perdent de vue.

            Luc Déry termine son deuxième Bac et commence peu à peu à se faire une place dans l’industrie en essayant entre autres les métiers d’éclairagiste et de directeur photo. Puis, il vient à un constat : « il manqu[e] de gens dans la production et la distribution, particulièrement des jeunes. »[2] Subséquemment, il complète un MBA à l’université de York à Toronto, se spécialisant dans l’administration des arts et des médias.

            De retour à Montréal, il se dirige vers la distribution chez Aska films, puis chez Malo films. Ensuite, il s’aventure dans la production, chez Qu4tre par Quatre. Il y retrouve son ami de Gatineau, André Turpin, pour produire son projet : Uncrabe dans la tête (2001) qui remporte l’année suivante 7 prix Jutra, dont celui du meilleur film et du meilleur scénario. Le film obtient aussi plusieurs nominations aux Prix Génie, et aussi une nomination aux TFCA pour le meilleur film canadien.

Juste avant, il avait produit un film avec un autre confrère de Gatineau : La Moitié gauche du frigo (2000) de Philippe Falardeau qui a aussi remporté son lot de prix. Depuis ce film, un lien artistique s’est forgé entre les deux cinéastes; le producteur trouve que « c’est un charme de travailler avec Philippe »[3]. Falardeau explique : « Now I’ve made all my feature films with him. If I have my own personal project, Luc is always the first producer to whom I’m going to present it. »[4]

Alors que Qu4tre par Quatre entreprend un virage, Déry décide de voler de ses propres ailes en fondant sa compagnie de production : Micro_scope, nom qui témoigne de son passé. Il reprend contact avec Kim McCraw en la croisant sur un tournage de pub. Dès lors, il la supplie de s’associer avec lui dans le but de « faire des films d'auteur à petit budget qui traitent des préoccupations de leur génération à travers une forme et une sensibilité nouvelles. »[5]


Les deux premiers fruits de la jeune compagnie sont des coproductions qui lui valent une fois de plus de multiples nominations : « Les coproductions sont incontournables. On a moins de fonds publics, pour plus de projets. Il faut trouver des solutions, d’autres ressources […] c’est un combat de tous les instants. »[6]

C’est en 2005 que Déry et McCraw produisent pour la première fois un long métrage « 100 % Micro_scope », c’est-à-dire Familia (2005), premier film de Louise Archambault. Encore, le film obtient plusieurs nominations et la réalisatrice remporte le prix du meilleur premier film canadien au Toronto International Film Festival. L’année suivante, le duo Falardeau /Déry revient à la charge avec Congorama (2006), une autre coproduction avec un budget de 5 millions de dollars, ce qui donne plus de liberté au réalisateur. Une fois de plus, Déry monte sur la scène des Jutra pour aller chercher la statuette du meilleur film. Par contre, son film ne rencontre pas un gros succès un box-office qui est largement dominé par Bon cop Bad cop (2006) cette année-là.

L’année suivante, il remporte encore le meilleur film aux Jutra et aussi aux prix Génie avec Continental, un film sans fusil (2007) de Stéphane Lafleur, produit à l’aide d’un budget de 2,1 millions de dollars. Stéphane Lafleur obtient aussi le prix du meilleur premier long métrage Canadien au Toronto International Film Festival. « Nous sommes arrivés au moment d'une espèce de changement de garde, d'une émergence de nouvelles voix chez les cinéastes et auteurs. Et nous avons voulu accompagner de jeunes réalisateurs dans leur début de carrière […] afin de donner une chance à […] de nouveaux talents de faire leur place »,[7] explique Luc Déry.

Malgré les grands succès qu’ont les films de Déry et McCraw chez leurs pairs, le public ne suit toujours pas, ce qui cause des soucis aux producteurs parce qu’ils ne touchent pas à une enveloppe à la performance. Selon lui, l’argent n’est pas également distribué ; « je suis pour le concept des enveloppes dans la mesure où la distribution des enveloppes n’est pas basée uniquement sur le box-office. »[8] « Je crois qu’un des problèmes, c’est que les gens qui [en] bénéficient […] ne veulent pas prendre de risques, alors que ça faisait partie des résultats espérés de ce nouveau système. »[9]. « Ce qu'on aimerait, c'est de pouvoir arriver au stade de pouvoir financer nos projets sans l'aide des divers paliers de gouvernement afin de laisser cet argent aux nouveaux producteurs qui en auraient besoin pour s'établir, comme nous avons eu la chance de le faire. »[10]

Le cinéaste produit en 2008, un autre film de Falardeau : C'est pas moi, je le jure! (2008) avec un budget de 4,7 millions. Le film fait un fois de plus boule de neige dans les galas en remportant le prix du meilleur film aux Jutra et au festival international de films de Berlin. Le réalisateur gagne le Jutra du meilleur scénario et André Turpin, celui de la meilleure direction de la photographie. Le film est plus vu que les derniers longs métrages de la compagnie.

Deux ans plus tard, c’est la consécration avec Incendies (2010) réalisé par un nouveau venu chez Micro_scope : Denis Villeneuve.

« Nos films ont toujours été le fruit de notre envie de travailler avec du monde de notre âge et de notre entourage comme Philippe Falardeau, le frère de mon grand chum Pierre, André Turpin, avec qui j'ai étudié, et Denis Villeneuve, que j'ai rencontré à l'époque du film Cosmos. Tout cela était plus organique qu'organisé. »[11]
Le film obtient une grande partie des Jutra Sont encore le meilleur film et le scénario. Il se retrouve sélectionné dans à peu près tous les galas des États-Unis, dont les prestigieux Academy Awards dans la catégorie « Best Foreign Language Film ». Il est aussi sélectionné pour un César dans la même catégorie. Aux prix Genie, il gagne huit prix, dont celui du meilleur film. Le public est aussi au rendez-vous cette fois; le film récolte 3,6 millions au box-office international, ce qui équivaut grosso modo à la moitié du budget qui était de 6,8 millions.

           En 2011, c’est au tour d’un autre film de Falardeau d’être sélectionné pour les Oscars. Monsieur Lazhar (2011), qui ouvre nulle part autre qu’à la quinzaine des réalisateurs à Cannes, fait de Luc Déry le seul producteur à détenir 5 Jutra du meilleur film. Le film obtient l’équivalent au TFCA et au Genie. Il remporte autant de succès qu’incendie au box-office.

            Selon Déry, l’attention donnée au scénario est primordiale. « Valérie Beaugrand-Champagne, qui travaille très fort avec les réalisateurs sur le scénario et qui ne les lâche pas tant que tout le monde n'est pas satisfait du résultat, a contribué énormément à notre succès. Qu'on le veuille ou non, un film, ça part d'abord d'un scénario »[12] explique-t-il. De ce fait, le producteur critique le cycle infernal créé par le financement gouvernemental puisqu’il force souvent à terminer le développement plus tôt qu’il aimerait, alors que les scénarios auraient besoin de plus de révisions, parce que les dates de dépôt de projets sont très fixes et qu’en ne déposant pas de projets, il perd de la crédibilité. Il prône une enveloppe au développement au lieu du système actuel.

           Le cinéaste s'implique de très près tout au long de la production de chacun de ses films :
«Être producteur, c'est se trouver au coeur de tout ce qu'implique faire un film, explique-t-il. Je suis souvent le premier lecteur du scénariste, je suis aussi au côté du réalisateur quand il soumet son idée de long métrage aux instances de financement; je m'implique dans le choix de la distribution et je suis celui qui trouve l'argent pour que tout le monde puisse faire son boulot sans souci. J'adore cet aspect touche-à-tout de mon métier!»[13] «C'est une mauvaise conception du métier de producteur que de croire que nous sommes là juste pour trouver du financement, soutient-il. Il faut se sentir allumés nous aussi, pour mettre tous les efforts nécessaires pour concrétiser un projet! Nous n'avons jamais accepté de travailler sur un film en nous disant: 'C'est sûr que ça va marcher.' On embarque quand on est convaincus qu'on peut nous aussi, Kim et moi, lui apporter quelque chose, qu'on peut contribuer à en faire le meilleur film possible»[14] « On ne tourne pas des budgets, on tourne des scénarios.»[15]

            Micro_scope vient de sortir Inch’Allah (2012) ; Luc Déry et Kim McCraw sont présentement en tournée pour présenter le film dans les différent festivals de cinéma mondiaux. Selon IMDB, Déry est en postproduction pour le dernier film de Villeneuve qu’il coproduit : An Enemy. De plus il est toujours à l’étape de la production du prochain film de Louise Archambault : Gabrielle.



[1] (Dixit Luc Déry) PETROWSKI, Nathalie. « Luc Déry et Kim McCraw: les Oscars, deux ans de suite », La Presse (Montréal), 25 février 2012.
[2] (Dixit Luc Déry) PRESSE CANADIENNE. « Un premier film 100 % Luc Déry », Le Droit (Gatineau), 10 septembre 2005.
[3] (Dixit Luc Déry) PERRON, Éric. « Entretien avec Luc Déry, producteur de Congorama », Cinébulles, Vol.24, No. 2, Automne 2006, pp.10-18.
[4] (Dixit P. Falardeau) SIMPSON, Peter. « Monsieur Lazhar, the Oscars, and the power of Lucky Charms cereal », Ottawa Citizen : Blogs : The Big Beat, [En ligne], http://blogs.ottawacitizen.com/2012/02/17/monsieur-lazhar-the-oscars-and-the-power-of-lucky-charms-cereal/ (consultée le 13 février 2013).
[5] N. PETROWSKI, « Luc Déry […] »
[6] (Dixit Luc Déry) É. PERRON. « Entretien avec […] »
[7] (Dixit Luc Déry) PRESSE CANADIENNE. « Luc Déry, un producteur qui mise sur les jeunes réalisateurs », La Presse (Montréal), 25 mars 2008.
[8] (Dixit Luc Déry) É. PERRON. « Entretien avec […] »
[9] GAJAN, Philippe, Marie-Claude Loiselle. « Financement du cinéma québécois en eaux troubles», 24 images, No. 127, Juin-juillet 2006, pp.30-35.
[10] (Dixit Luc Déry) LESSARD, Valérie. « La recette du succès de Luc Déry », Le Droit (Gatineau), 19 mars 2012.
[11] (Dixit Luc Déry) N. PETROWSKI, « Luc Déry […] ».
[12] (Dixit Luc Déry) N. PETROWSKI, « Luc Déry […] ».
[13] (Dixit Luc Déry) PRESSE CANADIENNE. « Luc Déry […] »
[14] (Dixit Luc Déry) V. LESSARD. « La recette […] »
[15] (Dixit Luc Déry) É. PERRON. « Entretien avec […] »

Médiagraphie
Internet
« C'est pas moi, je le jure!», Internet Movie Data Base, [En ligne], http://www.imdb.com/title/tt1163752/ (consultée le 13 février 2013).
« C'est pas moi, je le jure! », telequebec.tv : Cinéma québécois, [En ligne], http://cinemaquebecois.telequebec.tv/#/Films/334/Clips/1416/Default.aspx (consultée le 13 février 2013).
« Congorama », Internet Movie Data Base, [En ligne], http://www.imdb.com/title/tt0810809/ (consultée le 13 février 2013).
« Continental, un film sans fusil », Internet Movie Data Base, [En ligne], http://www.imdb.com/title/tt1093815/ (consultée le 13 février 2013).
« Incendies », Box Office Mojo, [En ligne], http://www.boxofficemojo.com/movies/?id=incendies.htm (consultée le 13 février 2013).
« Incendies », Internet Movie Data Base, [En ligne], http://www.imdb.com/title/tt1255953/ (consultée le 13 février 2013).
« Luc Déry », Canada : Berlin 13, [En ligne], http://www2.telefilm.ca/05/516/berlin/2013/producers.php?id=1802 (consultée le 13 février 2013).
« Luc Déry », Cinoche.com, [En ligne], http://www.cinoche.com/personnes/705/index.html (consultée le 13 février 2013).
« Luc Déry », Internet Movie Data Base, [En ligne], http://www.imdb.com/name/nm0246404/ (consultée le 13 février 2013).
« Monsieur Lazhar », Internet Movie Data Base, [En ligne], http://www.imdb.com/title/tt2011971/ (consultée le 13 février 2013).
SIMPSON, Peter. « Monsieur Lazhar, the Oscars, and the power of Lucky Charms cereal », Ottawa Citizen : Blogs : The Big Beat, [En ligne], http://blogs.ottawacitizen.com/2012/02/17/monsieur-lazhar-the-oscars-and-the-power-of-lucky-charms-cereal/ (consultée le 13 février 2013).
« Un crabe dans la tête », Internet Movie Data Base, [En ligne], http://www.imdb.com/title/tt0284214/combined (consultée le 13 février 2013).
Journaux
CASSIVI, Marc. « Luc Déry et Kim McCraw », La Presse (Montréal), 29 janvier 2011.
CÔTÉ, Daniel. « Luc Déry ne regrette surtout pas d'avoir changé d'idée », Le Quotidien (Chicoutimi), 25 septembre 2012.
CÔTÉ, Émilie. « Portrait : Luc Déry », La Presse (Montréal), 3 septembre 2005.
KELLY, Brendan. « Showbiz chez nous : Other films get the hype, Déry’s get the balance », The Gazette (Montréal), 17 mars 2008.
KELLY, Brendan. « Show Biz chez nous : Sun News Network attack on Monsieur Lazhar is just goofy», The Gazette (Montréal), 17 février 2012.
LESSARD, Valérie. « La recette du succès de Luc Déry », Le Droit (Gatineau), 19 mars 2012.
LESSARD, Valérie. « Luc Déry le stress et l’espoir d’une statuette » (sic), Le Droit (Gatineau), 26 février 2011, p. A5.
PETROWSKI, Nathalie. « Luc Déry et Kim McCraw: les Oscars, deux ans de suite », La Presse (Montréal), 25 février 2012.
PRESSE CANADIENNE. « Luc Déry, un producteur qui mise sur les jeunes réalisateurs », La Presse (Montréal), 25 mars 2008.
PRESSE CANADIENNE. « Un premier film 100% Luc Déry », Le Droit (Gatineau), 10 septembre 2005.
ROY, Pierette. « "L’arrache idée" de Luc Déry en première mondiale : Cinéphile passioné devenu cinéaste », La tribune (Sherbrooke), 26 février 1985.
Périodiques
GAJAN, Philippe, Marie-Claude Loiselle. « Financement du cinéma québécois en eaux troubles», 24 images, No. 127, Juin-juillet 2006, pp.30-35.
PERRON, Éric. « Entretien avec Luc Déry, producteur de Congorama », Cinébulles, Vol.24, No. 2, Automne 2006, pp.10-18.
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